Le 23 juillet 1967, dans le cadre de l’Expo 67, le général de Gaulle débarque à Québec sur le croiseur Colbert. Avec son sens aigu de l’histoire, de Gaulle déclare à ses proches: «Je compte frapper un grand coup. Ça bardera, mais il le faut. C’est la dernière occasion de réparer la lâcheté de la France.» C’est dans cet état d’esprit qu’il débarque à Québec. Le lendemain, dans sa décapotable ouverte, accompagné du premier ministre Daniel Johnson père, il emprunte le Chemin du Roy qui doit le mener à Montréal. Sur l’ensemble du parcours, dans les villes et villages où il prononce à chaque fois un petit discours, le général est accueilli en triomphe. Les Canadiens français, qui de plus en plus se définissent comme Québécois, se pressent sur son passage. C’est dans l’enthousiasme qu’ils chantent la Marseillaise et qu’ils pavoisent leur maison de fleurs de lys et de drapeaux tricolores.
Lorsqu’il arrive à Montréal, la foule devient plus dense. De Gaulle entre à l’hôtel de ville pour y rencontrer le maire Jean Drapeau. Il est prévu qu’il salue la foule sans prononcer aucun discours, mais son garde du corps ayant remarqué un micro caché dans un coin, le général demande qu’on le branche. C’est à ce moment que l’histoire se joue. Sur le balcon, après avoir vanté devant 15 000 personnes les accomplissements du Québec depuis plus de dix ans, il crie: «Vive le Québec Libre!»
Le mot est lâché. Il résonne dans tous les coins du monde, mais à Ottawa, le premier ministre Lester B Pearson ne l’entend pas de cette oreille. Il déclare: «Les Canadiens n’ont pas besoin d’être libérés. Le Canada restera uni et rejettera toutes les tentatives pour détruire son unité.» De Gaulle, qui a rendez-vous avec lui à Ottawa le lendemain, décide de revenir en France. Le nationalisme québécois, moderne et résolument tourné vers l’avenir, vient de prendre forme. Les Canadiens français ne seront bientôt plus des Canadiens, mais des Québécois avant tout.
Source : Alain Peyrefitte, De Gaulle et le Québec Libre, Paris, les Publications du Québec, 1997.