Tout au long du processus ayant mené au rapatriement de la constitution, en 1980 et 1981, au moins deux juges sur neuf ont partagé de l’information sensible avec des responsables politiques ou diplomatiques, une violation flagrante du principe de séparation des pouvoirs.
Le premier de ces incidents remonte au 9 octobre 1980, lors d’une rencontre entre le juge Willard Estey et l’ambassadeur britannique John Ford. Le premier informe alors le second que le projet de loi constitutionnelle pose problème en regard du droit, ajoutant qu’il a informé une source au ministère de la justice.Le deuxième événement a lieu en mars 1981. Le juge en chef de la Cour suprême indique alors à une source fédérale que, si la Cour était saisie de la question du rapatriement, elle trancherait la question rapidement.
Il faut comprendre que Pierre Trudeau ne souhaitait pas consulter la Cour suprême, car il avait peur de retarder le processus. Grâce aux indiscrétions de Bora Laskin, le gouvernement fédéral pouvait être rassuré. Quelques jours plus tard, le premier ministre accepte d’ailleurs de soumettre la question au plus haut tribunal.
Ce développement nous amène à une nouvelle indiscrétion, qui a lieu le 26 juin. Le juge Laskin est alors en voyage à Londres, au moment même où Pierre Trudeau y rencontre Margaret Thatcher. Laskin en profite pour passer un coup de téléphone au greffier du Conseil Privé, Michael Pitfield, un proche du premier ministre. Laskin lui annonce qu’il doit rentrer subitement à Ottawa en disant « vous savez ce que ça veut dire ».
En racontant l’histoire à un haut-fonctionnaire britannique, Pitfield en tirera la conclusion suivante : le jugement de la Cour suprême tombera le 7 juillet.
Sauf que ce n’est pas ce qui va se produire, suivant ce qu’apprend quelques jours plus tard le gouvernement britannique. Le premier juillet, le juge Laskin informe en effet le ministre britannique Michael Havers que le jugement de la Cour suprême tombera beaucoup plus tard que prévu. La raison? Le tribunal est profondément divisé.
Ces indiscrétions constituent autant de violation du principe fondamental en démocratie de la séparation des pouvoirs. Comme le dira l’ancien ministre québécois Claude Morin, si cette situation avait été connue des provinces, « les manœuvres de Trudeau auraient complètement capoté ».
Source : Frédéric Bastien, La bataille de Londres. Dessous, secrets et coulisses du rapatriement constitutionnel, Montréal, Boréal, 2013.